LA STELE DE MARBRE.

                                 La fête battait son plein dans les jardins de l’ancienne Abbaye en ruine. C’était cet endroit que la municipalité avait choisi cette année pour organiser les festivités médiévales. Habituellement, cela se déroulait dans le parc, mais la place venant à manquer à cause du nombre croissant de visiteurs chaque année, leur choix s’était donc arrêté sur ce site à quelques kilomètres de la ville, car il offrait une étendue plusieurs fois plus vaste.

                                 Ambre était une jeune fille de vingt ans, brune les yeux verts et un teint très pâle. Elle aimait la solitude. Mais c’est ce lieu qui l’avait décidée à aller y faire un tour cette année. Il lui semblait beaucoup plus approprié à ce genre de manifestation que le parc bordé d’immeubles en béton.

                                 Elle était donc partie de chez elle tôt dans le début de l’après- midi, pensant arriver sur le site avant   que la foule ne l’ai envahi. Hélas, le beau temps étant de la partie, beaucoup avait eu la même idée qu’elle. Arrivée aux abords de la pâture qui avait été transformée en parking pour l’occasion, force lui fut de constater qu’un grand nombre de personnes l’avait déjà précédée. Ambre se doutait évidement qu’il y aurait du monde mais elle ne pensait pas que ce serait à ce point là.

                                 Elle sortit de la voiture et emprunta le chemin de terre qui montait vers les ruines. Cinq minutes plus tard, elle aperçut des tentes multicolores. Elles avaient été dressées de ci de là, dans ce qui fut les jardins de l’ancienne abbaye. Il ne restait plus grand-chose de ce qui avait du être un sublime édifice plusieurs siècles au part avant. Seuls quelques pans de mur étaient encore debout.  Cela donnait indéniablement un plus aux festivités, un peu comme si un retour vers le passé était en train de se produire.

                                 Ambre était passionnée de tout ce qui touchait de près ou de loin au moyen-âge. Cette fête était un peu le moyen pour elle de s’y immerger. Elle observait donc avec avidité toutes les scénettes qui se déroulaient devant ses yeux. Les seigneurs en habit d’apparat promenaient  à leur bras de gentes dames aux robes de couleurs chatoyantes, coiffées de cornettes ou de ces chapeaux pointues qui faisaient penser à ceux que portaient les fées. Elles était parées de leurs plus beaux et précieux bijoux. Un forgeron en tablier de cuir frappait avec une énorme masse, un morceau de fer rouge pour en faire vraisemblablement une lame d’épée. Plus loin, une troupe de ménestrels aux vêtements bigarrés jouaient une musique gaie et rythmée sur laquelle dansaient deux jeunes filles. Il y avait aussi deux vaillants chevaliers qui s’affrontaient en duel pour l’amour d’une gente dame.

                                 Ambre se délectait de ce spectacle  et passa plus d’une heure à promener de stand en stand. Mais hélas, au fur et à mesure que le temps passait, de plus en plus de monde arrivait et il ne lui fut bientôt plus possible de profiter pleinement de la fête. Elle décida donc d’aller faire un tour dans les ruines, mais là aussi, la foule avait envahi les lieux.

                                 - Mieux vaut rentrer, se dit Ambre la mort dans l’âme.

                                 Elle passa derrière les ruines et décida de longer l’ancien mur d’enceinte  pour rejoindre sa voiture Elle espérait en prenant ce chemin rencontrer le moins de monde possible et pouvoir ainsi prolonger un peu  cette sensation de toucher le passé.

                                 Alors qu’elle cheminait perdue dans ses pensées, son regard fut attiré par un bosquet d’arbres. A travers les branches il lui sembla distinguer un petit édifice en pierre. Elle escalada le tas de caillasses du mur effondré et s’en approcha.

                                 Effectivement, c’était bien une petite construction  qui était nichée au creux de ses arbres. Vu de près, cela pouvait faire penser à une chapelle. Il y avait deux portes en fer rouillé, décorée de roses et de lierre en fer forgé. Elles étaient encore magnifiques malgré les ravages du temps. Elles occupaient entièrement la façade. Il n’y avait que quelques rangées de vieilles pierres au dessus pour soutenir la toiture en ardoise.

                                 Ambre passa sur le coté de l’édifice et constata qu’il n’avait que deux mètres de profondeur, elle en fit le tour.

                                 - Bizarre, se dit-elle, qu’est-ce que cela peut bien être ? Pas de croix ou d’autres signes religieux ; ce n’est donc pas une chapelle. Pas de fenêtre, ni d’ouverture d’aucune sorte à part les portes. Qui a bien pu construire cela ? Aucun chemin ne mène ici et le mur de l’abbaye devait bien mesurer plus de deux mètres…Pourquoi  bâtir quelque chose devant un tel mur ?

                                 Des tonnes de questions se bousculaient dans sa tête ; tout cela l’intriguait au plus haut point.

                                 Elle était de nouveau face aux portes. Elle y posa la main et passa les doigts sur les fleurs, un peu comme si cette caresse allait l’aider à percer le mystère. Ce faisant, elle remarqua un autre détail insolite : une grosse chaîne passée au travers des poignées, dont les extrémités pendaient dans le vide. Il n’y avait aucun cadenas pour les relier et empêcher ainsi l’ouverture. Mue pas une curiosité irrépressible, elle fit glisser les lourds maillons rouillés des poignées et tira sur les deux battants. La porte s’ouvrit en grinçant sans offrir la moindre résistance.

                                 Elle observa l’intérieur  du pas de la porte. Ce n’était effectivement pas une chapelle ; il n’y avait aucun autel, ni de statue de vierge ou de christ. La pièce était vide, les murs de pierre nus. Rien, hormis un escalier qui occupait presque toute la surface du sol et qui semblait s’enfoncer sous terre. Vers ou ? Vers quoi ? Elle distinguait une quinzaine de marches puis la pénombre. Enfin c’est ce qui lui avait semblé au début. Mais maintenant, une lueur tremblotante perçait l’obscurité.

                                 La raison lui disait de refermer ces portes, de rejoindre sa voiture et de rentrer chez elle. Mais la curiosité, de nouveau l’emporta. Elle commença à descendre lentement les marches. Une odeur acre de renfermé lui monta aux narines ; l’air frais et pur de l’extérieur n’était sûrement plus rentré ici depuis bien longtemps.

                                 Elle se retrouva bientôt dans une salle ronde aux murs de pierre sur lesquels étaient collés à intervalle régulier des colonnes qui soutenaient la voûte du plafond. Et au milieu de cette pièce se trouvait une dalle de marbre vert entourée de quatre imposants chandeliers en fer où brûlaient des bougies blanches. Elle était dans un mausolée. Le marbre était vierge de toute inscription. Qui donc pouvait bien reposer ici ? Elle s’approcha de la dalle. Elle était magnifique, faire d’un marbre pur et sans aucun défaut.

                                 Elle était perdue dans sa contemplation quand les portes en haut de l’escalier se refermèrent en claquant. Elle sursauta et se retrouva plongée dans la pénombre. Les lueurs tremblantes des bougies n’étaient pas assez puissantes pour éclairer autre chose que la stèle. Les murs avaient disparus comme avalés par l’obscurité. Elle distinguait à peine le bas de l’escalier. Une boule d’angoisse se forma au fond de sa gorge. Il fallait absolument qu’elle sorte de ce tombeau.

                                 Alors qu’elle s’apprêtait  à remonter, il lui sembla percevoir quelque chose qui bougeait sur sa droite. Le temps qu’elle tourne la tête, cela avait fait le tour de la pièce pour se retrouver à sa gauche. Puis elle sentit un souffle sur son cou. Elle était tétanisée, ses muscles ne lui répondaient plus. Elle  aurait voulu fuir en courant mais tout son corps restait figé. Elle sentait une sueur glacée couler le long de son dos.

                                 Ce  qu’il y avait dans cette pièce continuait à se déplacer à la vitesse d’un éclair autour d’elle. Cela la frôlait et la seconde d’après, c’était loin. Puis cela revenait de nouveau à coté d’elle. Il y eut un bruit sourd de tissus que l’on arrache. Il lui fallut  un moment pour comprendre que c’était sa robe qui en était la source.

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