MAISON LOINTAINE (1)

MAISON LOINTAINE

RECITS DE SHEHERAZADE

Elle est dans l’avion et pense qu’elle va le voir. Cet homme avec lequel depuis longtemps elle dialogue et qui, de temps à autre, jouit pour elle au téléphone. Celui qui est loin de son île tropicale et qui, sur les photos, toujours lui est apparu comme pensif et lointain. Celui à qui elle, quelquefois elle s’est virtuellement montrée et qui lui aussi, s’est caressé pour elle ou du moins parce qu’il la savait là.

Elle a beaucoup fait pour se rapprocher de lui.

Des dialogues.

Quelques écrits voulus excitants.

Des photos qu’au bout du compte elle a envoyées.

Des paroles au téléphone.

Et de lui, elle pense de même. Il l’a lentement aidée pour à se préparer à cette rencontre. Elle a en tête, pendant le voyage, cette semi-nudité qu’il lui a offerte. Allongé, pull noir relevé sur son torse. Peau claire, attirante, manifestement plus claire au niveau des hanches. Jambes légèrement écartées pour permettre l’adroit et régulier mouvement de sa main sur son sexe bandé.

Images qu’elle aime.

Cette main qui s’active. L’érection qu’il a.

Les questions qu’il pose avant de jouir et ses réponses à elle, stimulantes, encourageantes. Ce qu’elle voit de son abandon. De son plaisir.

Oui, elle est contente de penser à cela tandis que l’avion la fait changer d’hémisphère. Elle va bientôt dormir, le sent, attend le dîner et observe, pour rester éveillée et en alerte, le steward aux yeux clairs.

Dormir. Oublier la longue frustration.

Savoir qu’elle va l’appeler en arrivant et que le faisant, elle sera déjà avec lui.

Elle ferme les yeux et imagine des effleurements qui ne sont pas et qui, pour elle, sont de délicieuses prémisses.

Elle prend sa queue dans sa main et la caresse doucement d’abord puis plus vite.

Il se laisse aller au plaisir qu’elle lui donne. C’est bien, elle vient pour cela. Lui en donner. Et à coup sûr, il jouira  par elle. Il devra s’abandonner.

Sans compter ce qu’il lui a promis et lui offrira.

En somme, des cadeaux partagés.

Elle ouvre à nouveau les yeux. Les charriots circulent.

Bientôt, elle reçoit son plateau repas et boit du vin dans un verre en plastique. Petites gorgées. Elle sirote. Elle rit parce que sa fille, avec laquelle elle voyage, lui raconte des histoires drôles.

Ensuite, elle pense de nouveau,  à lui.

Il sourit puis graduellement d’expression jusqu’à lui offrir un visage fermée.

Elle se surprend à serrer les dents. Ce ne sera peut-être pas aussi simple.

Elle préfère, avant de s’assoupir, songer à sa maison qu’elle a fermée avant de rouler vers l’aéroport. Il n’était pas tard quand elle l’a rejoint mais sous les tropiques, tout est décalé. Il faisait déjà nuit, la mer bruissait sans qu’on la voie et déjà, elle ne voyait plus, le long de la route, les palmiers et les jacarandas.

Elle change de monde.

Rejoint l’ancien.

Et elle va le voir, lui celui qui sait changer de visage.

A l’aube, l’avion atterrit à Charles de Gaulle. Longs couloirs. Formalités.

Son île est petite.

Paris, immense.

Dans le taxi, elle frémit.

L’homme de Neuilly. Celui qu’elle veut rencontrer. Elle ne sait pas vraiment qui il est. Pas du tout même. Juste ces échanges. Ce virtuel parfois flatteur et souvent irritant.

L’inconnu rieur va l’accueillir chez lui.

Patience.

Elle cherche, dans le hall d’arrivée une cabine téléphonique :

« C’est France, l’avion est à l’heure »

« Fatiguée ? »

« Oui, elle-aussi. »

« Tu vas chez tes amis ?»

« Oui »

Il est nonchalant et elle reconnaît avec plaisir ces inflexions de voix qu’elle a appris à aimer. Puis, il change de ton.

« Bienvenue à Paris, petite chienne »

Il peut être directif, elle le sent.

Elle s’empresse de le rassurer. Pour le rendez-vous, elle n’oubliera aucun détail. Elle a ses instructions et s’y conformera.

Il la salue.

« C’est bien. Je t’attends. Fais-toi belle »

Elle sent soudain un poids sur elle, une appréhension.

« A bientôt, Christian »

La voix a de nouveau changé. Elle est amusée.

« Mais oui, à bientôt »

Elle guide sa fille vers la station de taxi et toutes deux s’installent à l’arrière d’une grande voiture noire. Elle renverse la tête sur l’appui-tête siège  et ferme les yeux. Elle est partagée. Cette voix, ce rendez-vous attendu et maintenant réel.

Elle est excitée sexuellement et psychologiquement.

Elle se sent rétive et inquiète aussi. La traversée est faite et la réalité est là. Elle fait cependant diversion et à sa fille, parle joyeusement des visites à faire et des amis à voir. Puis, elle commente les quartiers variés de la grande ville, les décrit et son enfant l’interroge, amusée.

Le taxi les conduit dans le neuvième. Elles disent bonjour aux amis retrouvés, font des cadeaux, tourbillonnent, s’amusent. Elles se moquent d’elles-mêmes à cause de leurs vêtements d’hiver dans lesquels elles ont dû mal à se sentir bien puisque chez elles, toujours, il fait toujours beau.

A un moment, la fatigue pèse. Elle demande à s’isoler et dort, l’après-midi et se caresse avant et après, pensant à lui.

Orgasmes successifs doux puis violents.

Elle introduit un doigt dans son vagin pour sentir ses spasmes et son humidité. Elle se dilate et se rétracte.

Elle s’empêche de crier.

Il l’appelle en soirée, comme convenu, alors qu’elle s’apprête à sortir pour dîner avec ses hôtes.

« Elle va comment, ma petite chienne ? »

« Je suis reposée »

Que peut-elle dire d’autre ? Elle est nouée.

« Demain, dix sept heures. Tu sais l’adresse. Tu fais tout comme j’ai dit. C’est compris ? »

Toujours ce ton nonchalant.

Elle répond. Oui, elle viendra. Oui, elle fera ce qu’il dit.

Ils joueront.

Il reprend :

« Ce sera bien »

Elle n’en doute pas mais objecte. Elle prendra le métro et ne pourra se vêtir d’emblée comme il le souhaite. Il la rassure. Il sait.

« On a déjà parlé de ça, ma petite chienne, il n’y aura pas de problème. Tu n’arrives pas en pute. Quand même. Mais tu en deviens une chez moi. ».

Il explique de nouveau. Elle ira chez lui et dans l’entrée, se changera.

Elle dit qu’elle comprend.

« Alors, à demain. »

« Mais oui, à demain. »

Il est redevenu rieur.

Le soir, elle dîne dans un restaurant de quartier avec ceux qui l’accueillent et dort ensuite d’un sommeil de plomb.

La journée du lendemain file vite. Elle marche dans la ville le matin et fais des achats dans une librairie. Puis, elle déjeune avec une autre amie avant de retrouver ses hôtes et d’aller faire des achats de vêtements avec sa fille. C’est qu’elles sont mal équipées pour l’hiver.

Elle utilise ensuite un prétexte pour laisser chez ses amis sa fille qui parle et rit puis échappe discrètement à leur gentille sollicitude. Elle part vite, un petit sac de voyage avec elle.

Elle porte dans le métro une robe et un manteau chaud, des collants de laine, une écharpe et des gants. Chez elle tout cela est devenu incongru.  Dans son sac à main, elle garde une feuille pliée en quatre : son dernier mail

Neuilly. Elle doit marcher. Une avenue bordée d’arbres puis une rue dans laquelle son cœur se serre.

C’est là qu’il habite, l’homme qu’elle vient voir.

Joli immeuble. Premier code porte. Elle doit l’appeler sur son portable pour qu’il le lui donne.

« Ponctuelle. Bravo. »

La voix est détachée, non sans froideur.

Deuxième code. Sa gorge se noue.

Jouer.

Avec lui.

Elle monte deux étages.

La porte est ouverte.

C’est prévu.

Elle la referme et se change dans le couloir. La robe de laine, manteau et les collants d’hiver passent dans le sac. Même la lingerie qu’elle porte.

Apparaissent un soutien gorge noir, un porte- jarretelles et des bas noirs. Un corsage en dentelle et une jupe courte.

Elle change de chaussures et met des talons hauts.

Puis, se remaquille. Plus de fard bronze sur les paupières et un rouge plus marqué sur les lèvres. Parfum Chanel. Allure.

Elle entre dans le salon.

Il n’est pas là. Comme convenu.