9-2 Fleurs

9-2

Fleurs

C’est la première fois qu’il découvre un lieu dans lequel elle a posé ses marques et elle en est contente. D’elle et de son mode de vie, il n’aura perçu que les vêtements, les façons d’être et les sourires avant ce jour. Il voit ce soir-là qu’elle sait créer une atmosphère : les lumières sont tamisées. Des livres et des cd sont posés sur un meuble, des revues sur une table. Le choix des emplacements n’est pas fortuit : ils la révèlent comme la révèlent les fleurs dans les vases, l’étoffe qui recouvre le canapé et quelques vêtements personnels qui reposent avec nonchalance sur des chaises.

- J’aime assez.

Il est encourageant.

- N’a-t-on pas autre chose à faire ?

Elle acquiesce. Toutes les séances sont prévues et même si celle-là est plus improvisée, il reste une forte part d’exercices imposés. Le premier est exécuté. Le second, à venir.

- Suivez-moi.

La salle d’eau est petite. Nina s’installe comme elle peut dans la douche. Cambrée, elle incite XX à se répandre sur elle. Il ne tarde pas à la contenter. L’urine est chaude, presque réconfortante. L’un et l’autre gémissent.

Elle aime qu’il la douche et l’éponge. C’est bon. Irène-Nina s’en trouve contentée.

Plus tard, elle dispose sur la table deux verres à pied. Puis elle prend dans le réfrigérateur une bouteille de vin pétillant et l’ouvre maladroitement. Le bouchon saute et du liquide coule le long du goulot. Elle aime qu’il en soit ainsi elle aime que le vin versé dans les coupes se mette à frémir. Elle offre à XX un visage à l’expression sérieuse et enfantine puis dit :

- Comme je pars, j’ai pensé à un petit geste…

Elle lui tend la coupe. XX ne sourit pas et la scrute. Cependant, il lève son verre en sa direction et tous deux boivent une ou deux gorgées. Elle sourit brusquement mais l’instant d’après, baisse les yeux. Elle retient ses larmes et préfère qu’il ne la voie pas ainsi même s’il est inévitable qu’il capte sa tristesse.

- Nina ?

Elle secoue la tête.

- Ce n’est rien.

Il s’assoit sur le canapé et lui fait signe de venir. Elle hésite d’abord puis accepte et cherche à s’asseoir près de lui. D’un mouvement précis, il l’attire et elle se retrouve assise sur ses genoux. Cette pose est maladroite pour elle. Elle est grande et ronde, opulente dans ses formes alors que lui, l’homme jeune, est mince et anguleux. C’est une situation ridicule à laquelle elle essaie de se soustraire mais il la retient par le bras et, de fait, elle renonce au désir qu’elle avait de se lever.

- Nina, écoute…

Que veut-il dire ? Elle reste installée sur lui, son corps majestueux encombrant le sien.

- Nina…

Il touche le collier qui enserre son cou et elle penche la tête pour la poser contre son épaule. C’est la première fois qu’il autorise ce contact doux et confiant.

- Tu sais, j’ai pour toi de la…Je cherche le mot. Celui que j’ai en tête n’est pas juste…

Elle frémit :

- Est-ce « pitié » ?

- Non, non, « pitié » serait misérabiliste…

Elle cherche quelques instants. Elle s’abandonne maintenant au fait d’être à lui dans cette posture.

- Vous voulez peut-être dire « compassion » ?

Il hoche la tête :

- « Compassion », oui.

-  Pourquoi ?

Elle redoute la réponse, l’estimant dure mais il est surprenant :

- Nina, tu es parfois forte. Tu obéis toujours quand tu es avec moi mais souvent tu te débats et tu pleures. Tu pleures vite et fort. Tu veux et tu regrettes. Tu es contente puis u as honte. C’est un grand balancement…

Elle ne sait que dire :

- Ma nature émotive…

Il serre contre lui :

- Ce sont des jeux difficiles pour toi. Une relation classique t’irait peut-être mieux…

- Mais ?

- Oui ?

- Vous êtes « Monsieur »…

-  Je sais. Je sais.

Comme elle s’appesantit contre lui, il semble soudain s’agiter.

- Nina ?

- Oui ?

- Moi aussi, j’ai des cadeaux.

Elle est d’emblée puérile, dit qu’il ne fallait pas, rougit. Comme il le lui fait sentir, elle ne garde pas la même position et se dresse puis avance nue au milieu du salon. Il lui fait face un instant et lui dit qu’il doit aller prendre un objet dans le coffre de sa voiture. Elle acquiesce, toute heureuse qu’il ait pensé à elle et, comme il disparaît dans la nuit, elle attend en silence, contentée physiquement et émotionnellement. De nouveau, elle capte le bruit du vent et de la mer. Son corps est tiède. Ses yeux brillent. Elle est Nina, l’attentive.

Il revient.

- Voilà. C’est un hommage à ta condition.

Elle pâlit quand il lui la petite écuelle dans laquelle elle a bu, à quatre pattes. Elle ne sait plus parler. L’objet est devant elle, simple et obscène. XX est froid.

- Un problème ?

Elle se reprend tout de suite :

- Non, c’est bien, très bien…

Mais l’instant d’après, elle a les yeux plein de larmes et pleure convulsivement. Elle cache son visage dans ses mains et recule.

Il ne dit rien d’abord puis sans chercher à l’enlacer, il dit, d’une voix soudain adoucie :

- Tu sais ? ça c’est un cadeau anecdotique. Il y en a un autre. Tu attends ?

Elle pleure encore quand il quitte le salon. Il est absent peu de temps. Quand il revient, il l’interpelle :

- Nina ?

- Monsieur ?

Il lui tend un bouquet de lys et de roses. Subjuguée, elle le regarde sans le prendre.

- Un geste pour toi…

Elle contemple les doux calices. Le cœur étroit des grands lys blancs. L’intimité plus négligée des roses. Les pétales longs et droits ou fripées et minces.

Elle sent les doux parfums.

Elle remercie.

XX jeune et droit lui sourit.

Elle aussi, dans l’air du soir, rit doucement.

- Tu sais, j’ai beaucoup de travail. Je ne pense pas pouvoir te revoir.

- Je comprends.

- Je te téléphonerai.

- C’est gentil.

- Au revoir, Nina.

- Au revoir, Monsieur.

Il est minuit. Le jeune homme part. Elle l’accompagne du regard, le bouquet de fleurs toujours dans ses mains et le collier au cou.

XX. Finalement.

Plus tard elle dort.

Au matin, les fleurs l’émerveillent. Et au dehors, elle capte l’odeur des frangipaniers. D’abord inquiète, elle se rassure. Le jeune homme silencieux a mis en place des liens forts.

Ce n’est pas elle qui les rompra.